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Photo du rédacteurOuzire AMÉTHÉPÉ

Le pèlerinage de Mansa Moussa à la Mecque quelles conséquences pour l’Afrique ?


Mansa Moussa

L’homme est immensément célèbre de nos jours, plus illustre que Soundjata Keïta-même, le fondateur du grand empire du Mali, initiateur du Manden Kalikan (la Charte de Manden), demeuré durant des siècles le monarque de l’empire le plus célébré par la longue tradition griote. Alors comment Mansa Moussa est-il parvenu à supplanter son illustre parent et prédécesseur, au point d’accéder à la stature de demi-Dieu dans l’historiographie africaine, notamment sur les réseaux sociaux ? Deux raisons à cela : d’abord la globalisation et la vulgarisation de la connaissance grâce à internet qui a permis le croisement des chroniques documentées africaines et non africaines ; ensuite, l’article du site Celebrity Net worth qui l’a consacré, en 2012, l’homme le plus riche de l’histoire, c’est-à-dire de tous les temps. Ce classement, aussitôt relayé par le magazine Forbes, puis par les médias du monde entier, a marqué les esprits au sein du grand public dont la majorité ignorait alors jusqu’au nom de Mansa Moussa, et même celui de son empire, le Mali. Dès lors, la légende solidement établie autour du personnage du souverain malien dans l’histoire a refait surface ; son pèlerinage à la Mecque, le faste avec lequel cela s’était déroulé, l’important cortège qui le suivait (évalué entre 12 et 60 milles hommes, selon les sources, autant dire, dans tous les cas, un long cortège et tellement impressionnant pour pouvoir susciter ces exagérations de la part des chroniqueurs), l’or distribué à profusion en chemin ; tout cela a contribué à réactualiser l’aura légendaire qui entourait le nom de Mansa Moussa, à l’époque du Moyen-Age en orient en en occident.


caravane de Mansa Moussa sur le chemin de la Mecque

Pourtant, avec le recul, en reconsidérant les faits, en essayant de les restituer dans le contexte de l’époque, dans une perspective purement géopolitique, et à la lumière des événements qui se sont enchaînés par la suite, ce voyage, l’importante entreprise financière et logistique que cela avait coûtée, s’est avéré néfaste. Un faux pas dont les conséquences, interminables, ont fini par provoquer la chute des royaumes et empires du cœur du continent. Parce qu’au-delà de l’événement historique dont il a été l’acteur, d’abord le pèlerinage, ensuite les légendes que ce dernier a suscitées et continue de susciter au 21ème siècle, l’on oublie souvent de considérer les éléments suivants :

  • Mansa Moussa n’était pas au départ destiné au trône ; il y a accédé au terme d’une période de régence observée après que son prédécesseur, Aboubakari II, qui ne rêvait que d’explorations sur l’océan Atlantique dont il s’était promis de franchir un jour l’autre rive, a fini par partir un jour, à la tête d’une flotte impressionnante, forte de plusieurs dizaines de navires, mais sans jamais revenir… (Lire Ils y étaient avant Christophe Colomb de Yvan Van Sertima pour connaître l’histoire de cette expédition, et ses traces dans la culture orale de quelques peuples amérindiens de l’autre côté de l’Atlantique).

  • Lorsqu’il monta sur le trône en 1312, Mansa Moussa, lui n’avait qu’un rêve en tête : faire le pèlerinage à La Mecque. Il mit douze années à préparer son projet. Et en 1324, quand il s’élança enfin en direction de l’orient, à la tête d’un convoi de plus 10 milles sujets (ministres, conseillers, gardes, serviteurs, esclaves, etc.) il emporta avec lui environ 10 tonnes d’or destinées à ses œuvres de charité en chemin.

  • Ce voyage, les ressources humaines et toute la chaîne logistique qu’il avait mobilisées, sans oublier la quantité impressionnante d’or que l’homme fort du pays avait décidé d’emporter avec lui, tout cela n’était pas sans fragiliser les bases de l’empire ; d’autant que, quelques années auparavant, ce dernier avait déjà produit l’effort de réalisation des rêves d’exploration de son précédent empereur : Aboubakari II. Rappelons ici que le voyage aller-retour à la Mecque avait duré, en tout, plus d’une année, et donc coûté à l’empire plus d’une année de vacance du pouvoir par ses hommes forts.

  • Avant même de quitter la Mecque et de prendre le chemin de retour au Mali, l’empereur avait presque épuisé l’or qu’il avait emporté, au point de devoir recourir à des emprunts sur place, pour payer les tissus et autres produits précieux d’orient, et aussi financer le convoi de retour, le pourvoir en vivres.

  • Sur le chemin de retour, ne disposant plus, comme à l’aller, de la précieuse escorte des cavaliers du sultan du Caire à qui il avait pourtant fait un don faramineux en or, sans oublier le financement de la rénovation de la grande mosquée du Caire qu’il avait prise en charge, l’empereur malien et son cortège s’égarèrent à plusieurs reprises, dans le désert de la Palestine. Fatigué et rattrapé par l’hiver, le convoi perdit quantité de vies en chemin.

  • Enfin, soulignons qu’avec tout l’or exhibé et distribué tout le long de son voyage, et à une quantité inimaginable pour le commun des mortels, et même des monarques ou dignitaires de toutes les contrées par où il était passé, Mansa Moussa avait provoqué une inflation du précieux métal autour de la Méditerranée, et même jusqu’au cœur de l’Europe, durant plus de dix ans.

  • Cependant, davantage que cette inflation, c’est l’ampleur de la richesse de l’empereur qui avait frappé les esprits, au point de faire naître des fantasmes en Orient et en Occident, au sujet de riches ressources dont regorgeraient le Mali et les terres subsahariennes d’Afrique ; l’or y pousserait au sol et on le ramasserait aisément, ainsi que l’on récolte les fruits d’un arbre. Enfin, au Mali-même, et d’après une autre légende, les habitants vivraient dans des habitations au toit tout en or. L’Europe en étant, avec ses alchimistes, à rêver encore de transformer le plomb en or, voilà des légendes propices pour faire naître des vocations...


En définitive, le pèlerinage de Mansa Moussa à la Mecque, d’abord la forte impression de puissance et de richesse dégagée en chemin, ensuite les légendes et les fantasmes qui se sont construits autour du personnage et de son empire, a eu pour conséquence l’apparition soudaine… de l’Afrique subsaharienne dans l’univers géopolitique européen. En 1375, pour la première fois dans l’histoire occidentale, alors que Mansa Moussa était déjà décédé depuis plus 40 ans, le majorquin Cresques Abraham (1325-1387) le fait figurer sur son nouveau portulan (atlas destiné à la navigation). Sur la carte, l’on voit l’empereur malien assis sur son trône tout en or, arborant une couronne totalement en or, tenant d’une main son sceptre tout en or, et de l’autre, le summum, un globe en or massif. Cette surreprésentation du monarque malien, sur le fameux portulan, où il parmi quelques autres monarques nord africains orientaux et asiatiques (aucun autre roi ou empereur européen n’y est représenté), catapulta brusquement l’Afrique subsaharienne au cœur de toutes les convoitises en occident.


Carte Mansa Moussa

Cresques Abraham, avait réalisé le portulan pour le compte du roi d’Aragon qui, à son tour, l’offrit au roi Charles V de France. Environ un demi-siècle seulement après la parution du célèbre portulan, plusieurs navires portugais et espagnols se relayaient déjà sur les côtes ouest africaines. Dès les années 1430, les portugais, en avance sur leurs concurrents, descendirent en dessous du tropique du Cancer et parvinrent aux abords des côtes mauritaniennes où ils établirent une forteresse sur l’île vierge d’Arguin. Ils établirent des relations commerciales avec les habitants du continent, échangeant tissus vêtements, et autres produits européens contre de l'or et des esclaves. Ces premiers esclaves étaient destinés au Portugal, et non à l’Amérique encore inconnue en Europe. La suite, nous la connaissons…. et malheureusement. Mansa Moussa a indéniablement marqué l’histoire, et avec l’étoffe légendaire que cela confère aux hommes de sa stature dans les annales de l’histoire. Et cette stature est principalement, si ce n’est uniquement, liée à ce qu’il avait incarné au cours de ce pèlerinage, et aux yeux du monde, en particulier en dehors de l’Afrique où, sa générosité et l’extravagante richesse dont il avait fait montre ont eu une résonnance et un impact différents de ce qu’il en aurait été dans sa région ; l’or était alors une richesse banale sur les bords du fleuve Niger, de simples sujets du royaume du Mali en possédaient, en toute sécurité, car nul ne les aurait tué pour cela. Du point de vue purement africain, sur le plan géopolitique et stratégique, à long terme, ce voyage s’est avéré fort préjudiciable pour le continent. Alors que ses empires évoluaient dans une relative stabilité et opacité vis-à-vis du monde extérieur, loin des regards d’une Europe déjà turbulente (qui, usée, au terme de longs siècles de guerres intestines et interminables, avait commencé à rêver d’ailleurs, grâce aux récits de voyages de ces premiers explorateurs, Marco Polo en tête) leur destin va basculer dans un monde en voie de globalisation. Une globalisation assurée par l’apparition de la boussole en Europe au début du 14ème siècle, et les découvertes des voies maritimes que cela a facilitées. Une révolution qui va exposer, en l’espace du 14ème siècle, les peuples d’Afrique et d’Amérique à une férocité à laquelle ils n'étaient pas préparés. A terme, le choc se révéla brutalement fatal pour eux.



Ouzire Améthépé Paris, avril 2020




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